28 août 2010

Tu es ailleurs


 © León Diaz Ronda

J’ai aussi désappris à dormir, je me réveille toujours tôt, comme les vieux,
même quand je pourrais me permettre le contraire.
Dans le bus non plus je n’arrive pas à appuyer ma tête contre la vitre, à faire comme les autres.
Je suis aussi en train de désapprendre à feindre. Avant j’avais mon propre système, efficace, prêt à l’emploi :
Je pars à huit heures du matin et rentre à huit heures du soir,
entre-temps il faut se soumettre à une horde de néo-calvinistes cravatés,
chicanes, querelles, renoncements petits et grands,
humiliations sur mesure, comme les cols de chemise,
et voilà que le système accourt, et te sauve, en disant :
sois tranquille, pas de souci, tu n’es pas là, tu es ailleurs.
Considérant qu’à 11 heures tu vas au lit pour passer la plupart de ton temps
à fixer le plafond et ta femme qui dort (tu n’es pas là, tu es ailleurs.),
il ne te reste que trois heures pour faire la vaisselle, préparer la popote de bébé
et te disputer avec ta femme réveillée, mais tu n’es pas là, tu es ailleurs.
Puis vient le week-end. Le samedi il faut faire tout ce que tu n’as pas pu faire avant,
le dimanche il te faut aller déjeuner chez les parents, discuter avec les copains,
ou baiser avec ta femme, à moitié endormie à moitié réveillée,
mais tu n’es pas là, tu es ailleurs. D’accord, mais tu es où bon sang ?
Tu te caches peut-être dans les courbes d’un S, dans la coque d’un U ou sous le toit d’un T,
ou peut-être séjournes-tu entre les lignes de tes poèmes, que personne ne lit.
En attendant, la fille assise un rang devant moi décrète en pouffant à sa meilleure copine
que l’homme idéal doit mesurer au moins 1 m 72.
Deux centimètres, putain.

Andrea D'Urso 

Traduit de l'italien par Muriel Morelli 
extrait de Occident Express, à paraître en octobre 2010 aux éditions le grand os. 

2 commentaires:

Olivier a dit…

Excellent. Il me tarde la publication du recueil.

Le Grand Os a dit…
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